« keep secrets ; pv.

« keep secrets.
private for scylla.

« sais-tu garder un secret ? »

tête basse, je trottine discrètement. mes foulées sont régulières et cadencées. mes allure, vive mais gracieuse, presque aérienne. je secoue ma crinière. mes naseaux frôlent le sol, humant les odeurs restées ici depuis longtemps. ou celles plus récentes. je sens des odeurs mêlées. mais la plus récente est sans aucun doute celle d'un autre équidé. mais son odeur ne m'apprend rien de plus sur lui. je poursuis mon chemin. soudain, en relevant à peine la tête, je m'aperçois que je ne vois plus très bien devant moi. je la relève alors du plus haut que je peux. je ne suis pas bien grande, mais je vois tout de même. devant moi, une immense prairie. enfin, une jungle plutôt, car les herbes sont si hautes qu'elles me cachent presque la vue. je fronce mes sourcils. mais décide de m'engager tout de même dans ce labyrinthe. je n'ai pas besoin de points de repère. je n'ai nulle part où retourner, de toute façon. personne ne m'attend. personne ne remarquera, si je disparais. alors, je m'enfonce dans les herbes hautes, la tête dressée, fière. mes oreilles se baissent un peu. mes crins s'agrippent aux herbes folles, comme pour me déconseiller de continuer. mais je ne les écoute pas. je n'écoute personne. je poursuis mon chemin, ayant repris mon trot léger. mes sabots ne font plus de bruit dans l'herbe jaunie par le soleil, mais pas encore assez sèche pour craquer sous mon poids. au-dessus de ma tête, le soleil, qui brillait quelques minutes auparavant de façon estivale, se cache maintenant derrière de lourds nuages indignes de confiance. loin dans les montagnes, j'entends le tonnerre qui gronde. et je perds ta trace.

"C'est que, on ne m'en a jamais confié."

Une pluie violente s'abat brusquement sur la plaine et martèle sauvagement le sol. L'air se charge d'une humidité et d'une lourdeur capiteuseuses, ainsi que les différents arômes de la journée ravivés par la chaleur étouffante de la pluie. Une fragrance de terre, d'herbe, de pierre et de ciel, mais aussi les inombrables odeurs de tous ceux qui sont passés par là. Quelle tendre, délicieuses sensation. Perdue au fin fond du déluge, elle ne regarde même plus où elle va. Toutes les directions sont bonnes à prendre, après tout. Elle savoure, seule, cet orage printanier qui zèbre le ciel de furieux et excitants coups de tonnerre, dont le bruit roule comme un tambour et se répercute contre les parois de la plaine. Sa nature sauvage se libère petit à petit, elle n'y peut rien, elle aime ça, s'en priverait-elle ? Ses la guident de mieux en mieux, elle n'a plus besoin de voir, ou d'entendre, mais son sens du toucher la guide mieux que les autres. Elle entre sans crainte dans hautes herbes qui lui arrivent à l'épaule et mouve rapidement son corps grisâtre, blanchi par la pluie, petite, gauche et frêle.
Ah, quelle pure sensation. Ne rien penser, ne rien voir, ne rien faire, se laisser transporter par les vagues d'un orage qui la berce, qui la rassure, qui lui dit qu'elle n'est pas seule.
Pas seule, oui, c'est vrai. Une odeur nouvelle, malgré la pluie, s'infiltre alors dans ses naseaux. La nature a beau l'avoir peu gâté, elle a vainement essayé de compenser les peines en lui octroyant des sens plus développés que le commun des mortels. Mais à quoi se protéger du monde, lorsqu'on ne peut se protéger de soi ?
Tout est-il qu'elle y va, l'âme tranquille, l'esprit vide, et à travers le rideau de pluie, ses yeux noirs distinguent une silhouette fluide et gracile, rien à voir avec elle en fait ...
Scylla ronfle des naseaux, stoppe sa course folle et après un débat intérieur, se dit qu'elle n'a rien à perdre, après tout ... Pourquoi pas, oui. Elle se dirige calmement vers l'autre, elle ne sait pas si celle-ci l'a vue, peu importe ...

« il y a un début à tout. »

le tonnerre gronde. je suis toujours immobile, mes lourds crins noirs maintenant collés contre mon encolure en paquets désordonnés. la pluie s'est mise à tomber seulement quelques minutes auparavant, mais je suis déjà trempée. se sont des grosses gouttes. celles qui vous pénètrent jusqu'aux os pour mieux vous glacer. mais je m'en fiche. être mouillée ne me dérange pas sinon que c'est une sensation qui me rappelle mon rêve qui revient et revient sans cesse. celui où je me noie. je frissonne, non pas de froid mais par réflexe presque. le tonnerre fait vibrer l'air, le rendant à la fois lourd et fluide. les nuages sont bas. le soleil joue à cache cache mais ne se montre pas. le vent se lève. d'abord doucement, puis plus fort. toute les herbes se couchent sur le flanc, vaincues par plus fort qu'elles. et c'est là que je te vois. loin derrière-toi, dans l'horizon, un éclair transperce le ciel. sous cette illumination, tu ressembles à une divine apparition. ta robe devient si blanche dans la lumière provoquée qu'elle en semble presque moins réelle. l'éclair meurt à son tour, et tu te révèles sous ton vrai jour. ta robe est en fait grise. tu t'avances vers moi, m'ayant vu. je ronfle des naseaux, dilatés, captant ton odeur. c'est bien la même que celle que j'ai sentit en arrivant ici. celle que j'avais perdu sous la pluie. la terre, gorgée d'eau, laisse une odeur de nature remonter dans l'air. la pluie tombe toujours, mais peu importe. je secoue ma crinière noire, mes petits yeux te fixant sans agressivité ni rien. je m'ébroue. je m'avance alors de quelques pas, pour te montrer que je suis pour te rencontrer. je ne m'y oppose pas. s'il y en a une de nous deux qui doit s'enfuir, ce sera toi. tout le monde s'enfuit toujours face à moi. j'en ai pris l'habitude, tu sais. je renâcla bruyemment. le tonnerre roule sous les coups de tambours qui s'accentuent et s'enchaînent. je me rapproche alors pour que tu puisses m'entendre, et dis d'une voix forte et haute : « bonjour ! »

"Apprends-moi."

Elle chancèle un instant sur ses membres grossièrement dessinés, tandis que la terre molle se dérobe sous ses pieds, comme crantive de la pluie. Une boue étrange commence à se former, une sorte de vase gluante qui colle aux sabots et plaque les ailes contre les flancs. Les crins trempés de Scylla gouttent pathétiquement sur le poil sale de son franc glacé, elle a l'air d'une pauvre petite abandonnée. Elle regarda la noire qui s'avance à présent vers elle, elle cherche avec un vague espoir un regard vivant, même avec cette pluie féroce. Drôle de rencontre, rencontre fortuite, hasardeuse, dans le bruit sourd de l'orage qui gronde, de deux rejetées de la vie.
Scylla pince les naseaux, s'étant arrêté quelques secondes, puis se décide et reprend sa marche, le mécanisme de ses membres dégoulinants s'enclenchant sans qu'elle l'ait vraiment commandé. La voix haute et claire la surprend un peu, mais son visage reste impassible. Elle dévisage la noire inconnue, sa prestance, sa grâce, elle ne l'envie pas non, quelle idée de jalouser un autre lorsque on n'arrive même pas à s'occuper de soi ...
La petite blanche bat des cils sur ses paupières trempées, et bien qu'elle ne ressente pas le froid qui la pénétre grâce à la lourdeur de l'air, un vent violent se balance entre ses hanches et la fait frissonner. Elle est juste pitoyable, comme une enfant perdue, avec cette vague lueur d'espoir déçu dans ses grands yeux mornes et vides.

- Bonjour ... lâche-t-elle du bout des lèvres, à demi-consciente.

Il faudra beaucoup aujourd'hui pour la sortir de sa léthargie.
Son regard cependant, ne quitte pas celui de la noire. Elle appelle à l'aide, au secours, intérieurement, elle hurle pour qu'on l'entende, mais personne n'entend jamais. Qui pourrait ?

« alors écoute. »

Je te regarde. Tu as autant l'air que moi d'être perdue. Déboussolée. On s'est toujours dit que ce monde convenait à tout le monde, mais, et si ça n'était pas le cas ? Tu ne sembles pas à ta place non plus. Comme moi. Deux étrangères. Deux petites filles tombées dans un monde qui n'est pas le leur. Je secoue ma crinière longue et emmêlée. Le soin n'est pas trop mon truc. Je n'ai jamais eu l'allure d'une princesse ou le courage d'une guerrière. Je suis toujours restée moi-même, toujours aussi perdue. Mes oreilles jouent les girouettes pour tenter d'empêcher l'eau de rentrer. Mes yeux ne sont pas assez protégés avec mes cils. J'ai beau les agiter, des gouttes parviennent toujours à se faufiler. Je ferme les yeux une seconde. Les rouvre. Tu es toujours là. Élégante dans ta façon d'être désordonnée. Moi non plus je ne t'envie pas. Je ne connais pas la jalousie. Je ne peux pas envier la vie des autres quand la mienne se résume à si peu. Tu es si différente de moi que tu me ressembles, dans ta différence. Tu sembles à part. Comme deux hors-la-loi, deux fugitives. Et soudain j'entends. Oui, moi je t'entends appeler au secours. Crier à l'aide dans ta quête de l'aide que tu n'as jamais trouvée. J'écarte mon toupet de devant mes yeux, pour te fixer. Je te regarde sans ciller, soutenant ton regard de naufragée. Moi je t'ai entendu. Je vois dans ce regard. Dans tes prunelles s'allume le feu de l'espoir déchu. De l'attente inespérée. De l'appel au secours que tu lances sans espérer une réponse. Tu sembles si abandonnée, si fragile... Je te regarde. Je peux t'aider. Je le sais. Mais ne me fuiras-tu pas, à ton tour ?

Soudain, tu me réponds. Je sors de mes pensées de façon désordonnée. Ton salut est bref. Tu n'es pas là. Tu es ailleurs. Dans un autre monde. Puis-je t'emmener dans le mien ?

« Maeva. »

:]

"Et si mon corps ne veut plus écouter ?
Et si ma raison se dérobe sans que je le veuille, et si ..."

Elle se balance très lentement sur ses deux postérieurs, mouvant dans un mouvement hypnotique ses hanches creuses, et essaye vainement d'interpréter ce qui régit la pensée de la noire. Mais qu'est-ce, qu'est-ce ? Elle le voit, elle le sent qu'elle est différente, qu'elle a quelque chose d'autre, d'un peu effrayant, d'un peu secret, de fou et de fantastique, mais quoi, quoi ? Scylla n'a pas cillé une seule fois depuis qu'elle a posé ses yeux noirs sur l'autre. Des trombes d'eau s'abattent autour des deux juments mais elles n'en ont cure. La grise sent une certaine attirance monter en elle, elle veut, elle veut savoir. Pourquoi cette soudaine obstination, quj'est-ce qu'elle en sait ? Elle ne fait qu'obéir aux instincts et pulsions dont elle est victime, celles que lui dicte la nature. Qu'a-t-elle a perdre, qu'a-t-elle à gagner ? Rien, il n'y a jamais rien de bien au bout du compte. C'est juste que là, maintenant, elle veut satisfaire son désir, rien d'autre, rien d'autre, car son esprit se vide peu à peu et seul son corps la guide. Alors, elle décolle ses sabots de la boue gluante qui s'est formée autour, et s'approche d'un pas dangereusement rapide et maladroit vers la grande noire. Elle plante avec détermination son regard dans ses prunelles sombres, leurs souffles se mêlant presque tant elles sont proches. Elle est plus petite, plus vulnérable et pathétique dans son désir furieux de savoir, mais elle a comme un certain mérite ... au fond ... Sa voix rocailleuse et claire roule sous l'orage, peinant à passer le trajet de sa gorge et en ressortant déraillante :

- Dites-moi, dites-moi qu'est-ce que c'est !

Son changement d'attitude est renversant, mais il pourrait aussi empirer ...
Seul, dans ses yeux furieux et noirs brûle encore une minuscule flamme de d'espoir en détresse, d'espoir qui se noie dans l'immensité vide de ces pupilles.

alors force-le.
« si l'amour est dur avec toi sois dur avec lui. perce l'amour qui te perce et possède-le. » Shakespeare ; Roméo et Juliette.

Je te regarde. Petite enfant blessée. Petit enfant innocente brisée trop tôt. C'est ton enfant qui s'envole, tes rêves que l'on viole. La vie est injuste. La vie est une garce qui se joue de nous. Je te regarde toujours. Je ne comprends pas la vague de sentiments contradictoires qui bouillonnent en toi. Je cherche des explications. Vas-tu t'enfuir devant moi ? Ne seras-tu donc seulement comme les autres ? Non, depuis le début, je sais que tu es différente. Que tu te distingues. Parce que soudain, tu fais quelques pas maladroitement vifs vers moi. Tu t'arrêtes juste devant ma silhouette trempée, chancelante. Je te regarde, me questionne. Sur toi. Ta nature. Ton histoire. Tes rêves. Tes cauchemars. Je renâcla, mais on ne doit pas m'entendre car le tonnerre gronde au-dessus de nous. L'air est électrique. L'ambiance entre nous suspendue. Soudain, tu parles. Vite. Trop vite. Ne sois pas si pressée. Crains-tu de mourir demain ? C'est peut-être le cas. Le destin ne nous épargne pas. Jamais. Il s'abat sur tout le monde. Il s'est abattu sur toi. Sur moi. Sur le monde, tour à tour. Chevaux après chevaux. Âme après âme. Corps après corps. Tu me poses une question, mais je ne sais pas si je peux y répondre. Dans ton regard est apparut une lueur farouche. Aime-tu le mystère ? Sais-tu seulement ce que cela est réellement ? Ma voix sort plus calmement. Plus posée. J'ai des années d'expérience derrière-moi. Des années que tu n'as peut-être pas. « L'inception. » Je réponds seulement. Je sais que tu ne sauras pas ce que c'est. Mais que puis-je te répondre d'autre ? Petit enfant brisée. Petite ange aux ailes brûlées...

"On ne peut rien faire de ce corps malade,
sinon l'accepter,
Je souffre mais j'accepte, là pourrait être mon honneur ..."

Elle chancelle dans la boue élastique et se reprend aussitôt, un frisson de détermination ébranlant tout son corps. Non, elle ne sait rien de cela, comment pourrait-elle seulement le savoir ? Celle-là qui lui parle, celle-là qui la domine de son calme et de son mystère, n'est-elle pas, après tout, la plus étrange des étrangères ? Elle ne vient pas du même monde, non, car personne ne vient du même que celui de Scylla. La blanche ne vient de rien, ni de personne, elle est née un jour au creux de la roche, elle s'y fossilisera, tombera en poussières, et entre les deux, elle parcoura le canyon aride qu'est sa vie, léchant le peu d'eau qui s'y glissera, respirant le peu d'air frais qui y flottera. Cela suffira, cela sera injuste, peut-être, mais elle l'acceptera, elle gardera un espoir inutile, elle vivra son doux enfer comme tant d'autres vivent le leur. Et si, par bonheur, bonheur arrive, qu'il en soit ainsi, et que le ciel fasse à sa façon, et l'on verrait, on verrait, en attendant n'espérons pas trop, juste un peu, pour rester en vie.
La grise pose ses yeux sombres sur la noire. Peut-elle réellement lui apporter quelque chose ? Certes non, sinon un peu plus d'espoir déçu. Un peu. Un peu de générosité, de douceur. C'est toujours cela à gagner. Même si au fond, ça fait mal, c'est bien quand même. Et après tout, la blanche ne peut-elle pas, elle aussi, contribuer à la vie de l'autre ? Avec un peu de conviction et de son grand coeur, ne peutt-elle pas y trouver sa gloire, si maigre soit-elle ?
Scylla recule de quelques pas, s'étant embrasée quelques minutes auparavant. Ses yeux mornes balayent le terrain, tentent vaguement de sonder les pensées de la noire. La pluie tombe en plus fines gouttes à présent, et un vent glacial régit la place. Scylla incline la tête, lasse.

- Et qu'est-ce que c'est, l'inception ? Rien en moi ne me pousse à le demander, et pourtant vous m'avez vous-même incitée à la poser, ne serait-ce qu'en comptant sur ma politesse, ou sur une quelconque curiosité que j'aie, ou bien que je n'aie pas, débite-t-elle d'un ton morne. Alors, qu'est-ce ? Un semblant de sourire fatigué s'attarde sur ses lèvres gercées. Il en a fallu de peu pour qu'elle passe de l'autre côté, qu'elle trébuche vers une folle démence, mais là, ça va mieux, et elle est prête, ou presque à entendre, même si cela ne change rien.