L'inconnu dévala la pente qui les séparait en fracassant le rideau de pluie tragique qui leur tombait dessus. Lightchev posa sur lui un regard sans ton, toute chaleur et tout secret s'en étaient évanouis, il n'était plus rien, plus rien qu'une algue valdinguant dans un océan tumultueux. Ce fut lorsque l'autre s'éloigna un peu, après avoir satisfait sa curiosité en le détaillant avec une minutile véloce, et qu'il s'immobilisa au-dessus de la suppliciée que le mâle brun comprit, devina, sentit cela au plus profond de lui-même, au-delà des rouages grinçants de son esprit; en son coeur. Il expira lentement, expulsant ce gaz qui glânait dans ses poumons, et observa ce spectacle étrange du frère pencché sur sa soeur, aux extrêmes conséquences de leurs passions sulfureuses. Il comprenait sans comprendre. Il était donc là, celui même qui était témoin et coupable des souffrances maternelles d'Aesther, flaque blonde exposée à la pluie comme à la boue et qui gisait sur cette herbe comme déjà morte. Mais elle respirait, et ses flancs onctueux chassaient l'air faiblement, la sueur perlait sur sa nuque et la grosseur de son ventre tendu la clouait au sol. C'était bien là une situation des plus saugrenues, et si l'on considérait la chose de la façon la plus concrète possible, il ne savait rien des chevaux et encore moins de leur gestation. Muet, ses membres glissèrent un peu plus vers ce couple sans pour autant en pénétrer le cercle intime. Il regarda Aesther de ses yeux un peu déments; si au moins ils avaient quelque chose à partager, lui et cet étalon à la robe rousse, c'était peut-être en cet instant l'inquiétude, le trouble, pour cette jolie blonde en proie aux douleurs de la naissance. Quel être allait donc être expulsé sur cette terre détrempée ?
Iskander ramena un instant ses yeux vers Equinoxe; il ne pouvait réellement concevoir pour lui de sentiment, sinon une espèce de compréhension, d'affection limitée, car il ne connaissait ni la pitié ni la compassion. Il le regarda, transi d'amour interdit, et impuissant.

- Il me semble que je sais qui vous êtes, car le sort a fait qu'elle m'a évoqué votre personne il y a quelques minutes à peine, elle semblait encore bien portante, bien que tourmentée.

C'était tout ce qu'il pouvait dire. Sa voix fusionnait dans cette averse cinglante, comme un souffle d'air, c'était tout ce qu'il pouvait lui dire.

Syd Matters, Everything-.

Ces alexandrins que le rien passionné féconde,
essoufflés se détachent en diérèse sur un jour de pluie,
exilés dans leur déchéance lèguent leur rejet au prochain vers,
Et choieront sur nos tombes défleuries.


Elle gisait anéantie par ses douleurs publiques, par les mitoses infernales qui avaient foré ses hanches amoureuses, ces quelques années tanguant et déjà l'automne, lové aux crevasses de son être, altérant son âge saisi par l'impact maternel. L'aquarelle de leur confrérie abstraite s'inscrivait dans chaque goutte de pluie, deux traits verticaux et l'un étendu, les angles se complétant irréguliers tandis que l'acrylique de leur chair ruisselait mélancolique, en aval de leurs mots trépassés. Parce qu'il pleuvait.

Sa matrice expulsa enfin le reste de l'être infime à demi-sortant, l'arrachant aux méandres de douceur du ventre féminin pour qu'à son tour il longe la boue et s'imprègne de l'air humide. Une allégresse éphémère borda le cœur du mâle brun,lorsqu'il constata la vivacité de l'enfant à peine né, dont les peintures rosées ondulaient innocentes. Le coin d'un sourire vain mourut trop vite sur ses lèvres sombres; Aesther était toujours en proie aux mécanismes violents de la mise bas. Impuissante, assistant au combat de son corps ahanant. L'averse frappait.

Individu clandestin qui avait partagé la couche incestueuse du ventre si tendre avec l'autre; trahissant ses trois parents abusés par les hasards d'une nature acharnée. Dans une tragédie consciente où se perdait la naissance divine, un cinquième sabot émergea.
Iskander redressa lentement son encolure meurtrière, ferma les yeux, et son souffle chaud abattu par l'humus pluvieux fuya la dimension de cette contrée.

(Très space; ouais.)



"I'll be there as soon as I can,
But i'm busy mending broken
Pieces of the life I had before."


C'est avec une lenteur superbe que le processus s'achève tandis que les choeurs antiques de l'ondée glorifient le duo, dans un doux ruissellement que le remord inexorable s'approprie; drapé d'un émoi amer. Les plaques terrestres se meuvent silencieusement en contre-bas, la Terre se dérobe et le Ciel se rapproche, par intermittences ils dansent sur ces couches invisibles. Un tableau vivant sur lequel ils projettent leurs ombre défraîchies. Pâle reflet de leurs mœurs. L'averse embellit toute chose et baptise les natives de cette terre humide. L'Automne, appuyé sur sa canne nostalgique, revient en boitillant hanter les courants et les mouvements, tapissant de ses feuilles mortes leurs hanches que les passions violentes de l'été ont transi d'amertume.
Le Temps semble sans issue.
Leur chair unie par ce vent moite qui les lient, le mutisme pour un regard et peut-être deux, et des mots refoulés, et des gorges qui n'en finissent plus de tousser dans l'ombre, et le rien d'un avenir improbable. Chacun abandonne sur le seuil son bagage d'émotions impures parce que personnelles; mais le Temps n'a jamais su que nous rattraper et les consciences inconnues se serrent dans l'oubli d'elles-mêmes, dans l'espoir vain d'échapper à un hiver sans promesses. Et les voyageurs imprudents traînent les déboires de leur vie, toujours, en fin de compte, les secrets meurtriers se nichent dans un mensonge certain, qui dure, qui dure. Comme la saison des regrets, des soleils pâles et des sentiers jonchés.

Son encolure à peine pommelée marque un pli vers l'alezan lorsque celui-ci refuse à son corps l'élan qu'engendre ses passions. Le contre-coup frappe et c'est sans doute la seule certitude. Light' s'immobilise dans cette Nature superbe, les naseaux alertes qui crachent une fumée évocatrice. Ses yeux dilatés plongent sans fin sur la nuque blonde d'Aesther, et parfois sur les deux êtres qui prennent forme à ses pieds. L'une a la robe de son père, la couleur exaltante froissée par les eaux bouillonnantes, sang et placenta. L'autre, inconnue indésirée, arbore un blanc fâné que la boue rend quelconque. Une peau rose se dissout par endroits sous son poil maigre.

&... De loin; ses yeux consument lentement cette vision indécente, les flammes du soleil se projetant sur leurs sœurs, plus noires et infernales, à jamais impunies. La gorge imberbe respire, régulière, ce brasier qui l'a dévorée. ...&

Un pas, et d'autres qui suivent, son souffle chute à demi, heurtant la robe rousse et frissonnante. Et ses yeux qui s'émeuvent, inexpressifs ou presque, et déposent leur chaleur incorporelle sur ces os frêles qu'il n'a choisis qu'inconsciemment. Elle est si belle.
Son esprit dénaturé se tourne un second instant vers la mère. La Pluie a tout effacé. L'été est si loin, et leurs conversations si vaines. Seul le cœur parle, avide d'écoute, et dans le regard tous ces secrets inavoués qui attendent l'oreille concordante. La voix plus que jamais flottante épuise à nouveau son incandescence.

Vous l'avez dit. Un nom sur un visage, qu'il y corresponde ou pas. Quel nom leur donnerez-vous, quel mot dans nos bouches les feront se retourner, nous voir, et nous entendre, quels noms couleront comme les nôtres, impalpables, dans le flux des voix ?

La dernière syllabe se détachant dans le vide, et elle s'adressait d'autant au père démuni.