L'étalon essayait aussi de contenir ses larmes. Mais comme un barrage cédant sous la force de l'eau, les larmes coulèrent sur ses joues. En silence, d'abord, puis de longs sanglots montèrent de sa poitrine. Un étalon qui pleure ? On pourrait le prendre pour une tapette, une fillette, mais Roméo était juste sensible. Et meurtri. Blessé. Il pleura un long moment. Et finit par s'approcher de la jument pour enfouir sa tête dans ses crins. Il continua de pleurer. Cela aurait pu durer des heures tant l'étalon avait de larmes à évacuer. Mais l'étalon finit par se reprendre et renifla, reculant un peu. " Pardonne-moi... Et ne t'en veux pas, tu n'y es pour rien.. "

Roméo écouta les paroles de la jument avec attention. Il les médita, en silence. Un étalon ? Un étalon, un vrai ? Ses paroles le touchaient. Mais ce qu'elle n'avait pas comprit, c'est que cela n'avait aucune importance pour lui. Vouloir être un étalon ? Ce n'est pas ce qu'il désirait. Il ne l'avait jamais désiré. Il la regarda, et même si sa voix était un peu plus dure, elle était restée douce. " Mais je ne veux pas être un étalon, Light. " Il lui sourit, presque amusé. Il en aurait rit si l'on ne parlait pas de sa vie à lui. Sauf que l'on parlait de sa vie, justement, donc il ne rit pas. Il fit un pas vers elle, lui expliquant doucement. " Je veux redevenir celui que j'étais. Je veux la retrouver. N'importe où. Mais être un étalon est vraiment mon dernier voeux. "

Comprendre, comprendre. Y a-t-il dans le monde un être capable de vous comprendre réellement ? Cette tâche n'est-elle pas qu'une tromperie, qu'une supercherie destinée à vous faire croire ce qu'il n'est rien ? Sérieusement, quelqu'un vous a-t-il déjà entièrement comprit ? Si oui, où est-il donc, pourquoi êtes-vous seul ? Ah, une trahison. Oui, donc il ne vous comprenait pas si bien que cela, en fin de compte. Roméo se perdait dans des réflexions inutiles. Il secoua la tête. Il adressa un sourire contraint et confus à la grise. « Non, tu peux parler, tu sais... »

Roméo la regardait, l'écoutait, avec patience et, il essayait, la plus grande ouverture d'esprit possible. Il essayait de la comprendre ; il la comprenait un peu quand même. Il baissa la tête, comme s'il était coupable. Il l'était peut-être, après-tout. La culpabilité le rongeait aussi, de l'intérieur. Oui, c'était de sa faute si Juliette s'était tuée, non ? « La haine est une vipère. Elle s'infiltre dans tes veines, dans tes paroles, dans tes actes. Elle prend possession de toi. Elle est soeur de la peur mais est encore pire qu'elle en réalité. Voilà la raison pour laquelle j'en suis là où j'en suis. »

Roméo observait lui aussi le soleil couchant lorsque Light lui parla. Sans répondre, il se détourna et fit quelques pas de côté. Il observa le sol herbeux. Oui, ça serait sans doute bien, ici. Il se mit à genoux, avec la précaution que prendrait un poulain nouveau-né, et finit par se coucher. Il invita la jument à faire de même d'un signe de tête accompagné d'un petit sourire. Puis, il pesa ses mots, les cherchant habilement. " Je n'ai pas dis que j'étais haineux. Juste que la haine était la pire des tentations. Elle a courut à ma propre perte et à celle de Juliette. Si, sous la colère, je n'avais pas tué son cousin même alors qu'il venait de tuer le mien, je ne me serais pas fait bannir. Je n'aurais pas eu à me tuer et Juliette non plus. "

Oh, il était grand, il était beau. De longs cheveux bruns lui tombaient sur les épaules et ses yeux chocolats n'en laissaient aucune indifférente. Mais il avait changé. Il n'était plus cet homme. Il ne le serait plus jamais. Cette révélation - qu'il pensait avoir réalisé avant - lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Il grimaça, la tête tournée pour ne pas que la jument s'en aperçoive. " Non, ce n'est pas facile en effet... " Il murmura ces paroles, comme s'il ne voulait pas briser le silence qui était tombé d'un seul coup. Avait-il réellement passé tant de temps à parler avec elle ?

Roméo s'ébroua, silencieux. Il laissa planer le silence que tu avais instauré. Par respect, et puis parce qu'il n'avait rien à dire. Il observa lui aussi le ciel, suivant ton regard. Il y vit une riche palette de couleurs pastelles et se surprit à sourire, profitant simplement de ce paysage. Il tourna ensuite la tête vers toi. Ton regard ne le gênait pas, et quand tu le regardas de nouveau, il sourit, écoutant tes paroles. " Déjà, tu n'es pas un monstre. " Affirma-t-il avec un petit sourire, amusé. " Il y a terriblement pire que de parler simplement, tu sais. " Il te fit un clin d'oeil, taquin. " Et puis, moi aussi je suis vraiment content de t'avoir rencontré. Tu me comprends, tu respectes mon histoire aussi loufoque peut-elle sembler. " Il t'offrit un magnifique sourire pour accompagner ses paroles.

L'étalon haussa les épaules. Toute fois, il fut flatté et inconsciemment, un sourire discret vint se poser sur ses lèvres noires. Il tourna la tête vers la grise, et lui sourit plus franchement. Son regard croisa le sien. Il secoua ses courts crins noirs. « Moi je pense que c'est dû au hasard. C'est vrai, on est frappé par la foudre sans aucun critères, rien. Cela doit être le fruit du hasard. Qui d'autre, sinon ? » Question posé à lui-même, ou au ciel, mais il n'en eut et n'aura jamais la réponse. Il baissa les yeux qu'il avait levé vers les cieux, sombres, où brillaient des milliers d'étoiles. Il rit doucement. « Oh ne t'en fais pas, je suis fou aussi. On l'est tous, je crois. » Il regarda de nouveau le ciel, immense océan bleuté, presque d'ébène comme lui. Il fixa les étoiles, comme s'il les baptisait toutes, refusant d'en oublier une. Et inconsciemment, il se mit à chanter. « Ce soir c'est le grand bal, met du fard sur tes idées pâles ; on va faire tanguer les étoiles... »

( De Mozart l'Opéra Rock )

L'étalon s'interrompit immédiatement en s'apercevant avoir chanté tout haut. Gêné, il baissa la tête, refusant de croiser le regard de la jument. Que dire, sinon que les paroles de la jument le surprirent au plus profond de lui même ? Tant que ça qu'il releva brusquement la tête, la dévisageant avec vivacité et sérieux. « Vraiment ? Eh bien, je la connais de mon ancienne vie... » Une chanson qu'il aimait beaucoup. Il allait recommencer à la chanter mais ne le fit que mentalement, prudent à ne pas refaire la même erreur.

L'étalon chantait dans sa tête quand la voix de la jument le déstabilisa et il dû arrêter. Il fronça les sourcils, avec un air faussement fâché. Bien sûr, il se dérida vite et sourit doucement. Se râclant la gorge, en haussant les épaules comme pour dire « si tu insistes », il continua alors, les yeux perdus quelque part dans le ciel, mais seul lui savait quelle étoile il pouvait fixer avec tant d'intensité. A quelle étoile il dédiait sa chanson. Juliette. Il reprit, car sa phrase n'était pas finie. « Ce soir c'est le grand bal, met du fard sur tes idées pâles ; on va faire tanguer les étoiles. Bien plus haut, bien plus haut encore.. Ce soir c'est le grand jour, allons voir tomber les tambours ; la fanfare des soldats de cour, sonne faux, sonne faux encore... » Il lui lança un regard pétillant. Prête pour le refrain ?

Roméo fit durer l'attente. Pourquoi ? Suspense ? Hésitation ? Non, il profitait du moment. Il se sentait bien. A la fois, à jour dans ses peines passées, et bien dans sa peau, sa nouvelle peau. C'était la première fois qu'il ressentait un tel apaisement. Alors, sa voix s'accéléra un peu, pour le rythme. Il décrocha son regard des étoiles pour le plonger dans celui de la jument. « Allez viens, c'est bientôt la fin, de ce monde qui n'entend rien ! Allez viens, sonner le tocsin, fais valser leur vieux discours ; viens danser c'est notre tour ! »

Et Roméo continuait, inlassable. « Ce soir c'est le grand soir, de velours nos rêves se parent ; on accourt pour un nouveau départ ; bien plus beau, bien plus beau encore... » L'étalon lui sourit, entre deux paroles. Il laissa le silence s'installer, puis l'air entraînant du refrain tomba de nouveau entre ses lèvres entrouvertes. « Allez viens, c'est bientôt la fin, de ce monde qui n'entend rien. Allez bien, sonnez le tocsin, fais valser leurs vieux discours ; viens danser c'est notre tour ! » Il avait presque envie de se lever et de danser, le sommeil s'éloignant de lui au fur et à mesure que la chanson se poursuivait. Plus beaucoup, d'ailleurs.