Scylla


Tapie dans le sous-bois, là où les arbres couvrent son souffle et sa silhouette gauche et trapue; elle guette. Elle était arrivée là bien avant eux, reposant son corps tremblant après un accès de folie brusque et succint. Et depuis, elle observe, prostrée et invisible, et suit cette rencontre comme si c'était la sienne. Une jument pétillante et franche évolue, ramenant gaiement à elle un étalon singulier, d'une mélancolie rêveuse et pourtant soucieux de contact. "Je n'ai pas d'amis." Constat cruel et d'une simplicité presque avenante. Scylla souffre de trop comprendre. Ses paupière s'abaissent sur ses grands yeux pâles, les maux esquintent sa gorge brûlante. Elle relève ses yeux papillotants vers eux, et admire en silence leurs silhouettes bordées par le liquide bleuté. Un sourire épouse presque ses lèvres lorsqu'elle se surprend à s'imaginer telle que la joyeuse grise. Depuis longtemps il n'y a plus de jalousie, seulement un espoir évasif qu'elle ressent pour les autres et non plus pour elle.

Scylla


Elle buvait leurs paroles, s'appropriait leur échange, confondant spectacle et réalité; pourquoi persistait-elle dans le flou, elle était bien seule après tout, elle n'était pas eux. Mais elle ne put détacher son regard d'eux, se savoir cachée lui donnait mieux envie d'épier, et elle n'avait aucun dessein les concernant, elle voulait juste voir. Scylla ne se rendit pas compte du doute infime du mâle gris sur sa présence, se croyant indécelable.
Alors derrière elle un lapin fureta bruyamment dans un buisson dans un bruit d'enfer. Ses muscles tendus bondirent et elle laissa échapper un glapissement rauque mais féminin qui traversa largement les premières branches bordant le lac. Etrangement farouche, prise par la peur d'être découverte -ce qu'elle s'était mis en tête car elle aurait tout à fait pu feindre l'arrivée - et surtout honteuse d'elle-même, elle prit la fuite dans le bois, le souffle haletant, fendant les ronces épaisses qui freinaient sa course gémissante. Elle ne voulait pas leur parler, elle ne voulait pas exister pour eux.

Scylla


Sa respiration était devenu une suite de gémissements féminins s'intensifiant quand elle rencontrait des obstacles qui freinaient sa course affolée. Elle était aussi aveugle que son poursuiveur, guidée uniquement par son désir d'aller toujours plus avant et par la finesse de son ouïe. « Reviens ! » Il la suivait, elle le sentait, il s'était lancé à sa suite, la traquant, elle pouvait distinguer chacune des branches qu'il cassait, chacun de ses sabots qui écrasait le sol épineux; et juste derrière lui sa compagne si éclatante de vie. Elle ne savait pas ce qu'il cherchait, elle ne voulait pas affronter la romance déchue de sa mélancolie. Des larmes coulaient sur le visage de Scylla, elle ne savait plus ce qu'elle fuyait, elle était perdue dans les affres de sa conscience déchirée, et dans cette émotion étrange mais puissante, l'autre Scylla commença à faire du ravage dans ses entrailles, incendiant son intérieur, profitant du feu de l'action pour foutre son Bord**. Elle s'étonnait d'être aussi exubérante, elle qui n'était rien qu'une silhouette pâle et effacée d'ordinaire, et se surprit encore à hurler d'une voix aigüe et presque suppliante, en désespoir de cause :

- Non, non ne me suis pas ! Je ne suis pas celle que tu cherches, va t'en, laisse-moi !

Elle détalait comme une biche prise en chasse, mais consciente de la force de son traqueur, elle prit court dans le bois et profita de son avance pour aller se tapir, en dernier recours, à quelques mètres du chemin suivi, et essaya d'étouffer sa respirations haletante; en vain. Espérant, priant pour que le tronc noueux suffise à la cacher. Ses yeux se fermèrent sur les larmes qui les baignaient, elle ne savait plus où elle était, la peur démente d'être découverte ensevelissait le reste.