Les damnés invités à diner au paradis [PV]

# S'il y a cent mille damnés pour un sauvé, le diable a toujours l'avantage, sans avoir abandonné son fils à la mort. [Denis Diderot]

Si mon coeur se laisse porter par le vent, mon esprit lui reste ancré dans une réalité trop dure. Pourquoi le destin décide t-il de m'offrir pareil spectacle ? Ces fleurs, ces fruits, ces couleurs. Toute la beauté de la terre concentrée en un seul endroit. Sous mes yeux. Pourquoi aujourd'hui et maintenant ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? ... Pourquoi devant moi ? Ais-je le pouvoir de dire que je mérite de voir ce spectacle ? Je ne suis rien ni personne. Cet endroit est trop beau, trop spectaculaire, pour que je puisse l'apprécier pleinement. Je ne suis rien si ce n'est une carcasse vide, vide de tout souvenir, vide de tout sentiment fort. Mon esprit travaille, mais ne peut recréer ce sentiment que je devrais ressentir face à un tel spectacle. Je suis indigne de le contempler.

Ma capacité à ressentir a disparue en même temps que mes souvenirs. Je n'ai rien. Et cet endroit, si beau, si ancien, peuplée du passage de tant d'animaux, de tant de vents, de tant de plantes, il est gorgé de ce que je ne possède pas. Alors pourquoi s'offre t-il à moi ? Me nargue t-il ? Tenterait-il de me narguer avec ses souvenirs alors qu'il n'est qu'un lieu sans âme et sans vie ? Sa seule vie est celle du vent qui souffle entre les branchages, et les rayons du soleil qui viennent, chatoyant, effleurer l'herbe verte. Ce n'est qu'un spectacle auquel on tente d'insuffler de la vie, comme dans une mauvaise peinture. Et moi je suis là, bêtement à le contempler. Alors que je ne mérite pas de contempler pareille chose. Pour moi ce n'est qu'un mauvais tableau, alors que cet endroit est pourtant ce que beaucoup qualifieraient de paradis. Pourquoi suis-je encore là ?

Je détourne la tête et trotte. Ma queue se balance doucement tandis que je m'éloigne. Puis je m'arrête, et me retourne. Ce paysage paradisiaque est toujours là. Me mettre face à cet endroit serait comme mettre un paysan face à un chef d'œuvre de Picasso. Il n'y comprendrait rien, n'y verrait pas de beauté. Je suis pareille. Incapable de saisir la beauté de cet endroit... Et portant je la sens... Je sens cette beauté, je pourrait la toucher du doigt, mais elle est insaisissable... Et le paysage face à moi reste terne. A nouveau je me retourne, et m'éloigne encore de quelques pas. Un soupir. Mes sabots devançant ma pensée s'arrêtent. Un instant je reste là, les yeux fermés. Puis une dernière fois je me retourne. Et alors que j'allais m'éloigner de cet endroit dont je suis indigne, l'odeur d'un équidé me frappa, accompagné par la brise.

S'il faut mourir , autant vivre à en crever ...
[ MUSIQUE ]

Un pas après l'autre , elle avançais ; La tête et la queue basse , des larmes aux coins des yeux . Toute la haine qu'elle avait amassée au cours de sa petite vie lui avaient forgé une coquille épaisse , mais , parfois , une faille subsistait . Elle n'avait plus personne , et cela lui convenait . Enfin , pas vraiment , mais disons qu'elle faisait avec . Une aura grise et opaque se dessinait autour d'elle , et son pas d'habitude si gracieux devenait lourd et incertain . Une petite larme coula sur sa joue . Elle secoua machinalement la tête pour la chasser . Ce geste , pourtant si anodin , lui donnait un air d'ange .

Ses pas la conduisaient malgré elle vers un endroit merveilleux , qui contrastait si brutalement avec son humeur qu'un combat sans merci commença ; où le lieu gagnait et un sourire se dessinait sur son joli visage , où elle gagnait et elle devrait quitter cet endroit si joyeux . Pendant longtemps , elle resta immobile , respirant calmement , toute la rage du monde dans ses yeux noirs . Puis , dans un soupir , elle relâcha toute sa peine . Paradis : 1 / Eijil : 0 .

Alors , vaincue , elle observa son environnement . Toute les couleurs s'entremêlaient , formant un tableau idyllique . Eijil relâcha sa garde et avança , tournant la tête dans tous les sens à s'en faire des torticolis . Elle ne savait plus quoi sentir , où regarder . Tellement de choses et d'odeur l'envahissaient ! Elle prit un trot lent et fluide , souriant à présent de toutes ses dents . Un éclat de rire monta de sa poitrine sans qu'elle puisse l'arrêter , et elle s'arrêta , hilaire . Eijil se trouvait idiote de rire ainsi , pour rien . Mais , alors qu'elle allait se formuler la réflexion , elle senti une odeur . Sur sa droite , un cheval .

Le nez en l'air , elle suivit son flair jusqu'à trouver une petite jument noire et blanche , très jolie , plantée au milieu de la prairie comme une âme en peine . Tout en elle montrait qu'elle ne se sentait pas à sa place . Eijil s'avança doucement . Les yeux de la jument étaient vides , vides d'émotions , vides de souvenirs . Le vent lui souffla à l'oreille qu'elle avait un problème . Eijil se plaça à coté d'elle , un peu en retrait , de façon à ce que la jument la voie mais qu'Eijil ne bloque pas sa vision .

« La beauté d'un monde est elle trop dure a supporter , ou voulez - vous simplement vous protéger de sa majesté écrasante ? »

Elle désigna le paysage devant elle de la tête . Un peu de philosophie dans ce monde de brutes , ça ne fait de mal à personne .

- tss , j'ai honte TT -

Une ombre glissa près de moi et je tournais mon regard dans sa direction. De la compagnie ? Je prit le temps de détailler la petite jument pie qui c'était arrêtée près de moi. Elle c'était placée avec précision, cherchant à éviter de me cacher la vue. Ce n'était pas nécessaire, je ne voulais pas de cette vue. Mais je ne dit rien. Fine, élégante, racée, une jolie robe lustrée, des yeux noirs et profonds. Si j'avais été un mâle j'imagine que j'aurais été attirée par cette jument, qui semblait tout avoir pour elle. Je la saluais d'un rapide signe de tête, m'efforçant de me concentrer sur elle, et sur ses paroles. Tâche bien difficile quand on on à un esprit aussi embrouillé que le mien.
- Je cherche juste à ne pas gâcher ce paysage d'une trop grande beauté...
Répondis-je doucement, de ma voix calme. A quoi ressemble ma voix ? C'est une question que je me suis déjà posée, mais j'imagine que la voix que j'entends et celle que les autres entendent sont différentes... Ma voix... Surement calme, puisqu'après tout je le suis toujours. Je ne peut pas m'énerver, car je ne saurais pas quoi faire de mon énervement, je ne peut pas être peinée puisque je n'ai jamais aucune raison de l'être, je ne peut pas être joyeuse, vu que j'ignore en quoi cela consiste... Oui, je sais quel sentiment ont ressent quand ont est heureux, mais j'ignore si je saurais le re-créer à travers ma voix.

Je lançais un regard prudent au paysage trop coloré qui s'étalait face à moi, surveillant du coin de l'oeil la jument pie. Après quelques courtes secondes à embrasser ce paysage dont je ne saisis pas toute la foudroyante beauté je reportais mon regard sur cette inconnue. Des questions, voila ce que je suis censée faire, poser des questions, étiquette, règles de vie, quand on rencontre quelqu'un on lui dit bonjour, on lui demande comment il va, on lui demande son nom. Ces règles sont stupides, je ne les ai jamais comprises et jamais respectées. La plupart des autres chevaux le font... Mais elle, elle a l'air différente... Elle a engagé la discutions avec de la philosophie, rares étaient les chevaux à la maitriser. Bien, la journée n'est peut-être pas perdue.

sois fière d'exister , c'est déjà un exploit .
[ MUSIQUE ]

Eijil bougea un peu pour se placer face à la jument , à une distance respectueuse tout de même , et la fixa droit dans les yeux . certains racontent que les yeux sont le miroir de l'âme , Eijil allait voir ça tout de suite . Elle fouilla dans ses émotions , dans ses souvenirs , surprise de ne rien trouver . La jument avait n véritable soucis . Eijil fronça les sourcils en entendant ses paroles . Emplie d'une immense tristesse et d'une douleur , presque d'un manque tout aussi grand , la phrase semblait poignarder la jument .

Le vent , dans le ciel , courait après deux nuages sous l'œil attentif du soleil , inconscients tous les quatre de la gravité de la situation des mètres plus bas . Eijil cherchait ses mots . Elle fouilla dans sa mémoire , afin de retrouver une phrase du sage Jakituria pour l'aider . Une petite citation lui parut très appropriée , alors elle l'offrit à la jument .

« Un jour , un homme très sage m'a dit que rien ne pouvait être gâché . Ni la vie , ni la beauté , ni le paysage . Il m'a dit que la nature était faite de telle sorte que tout peut s'y placer et y trouver sa place . Si ta place n'était pas ici , tu n'y serais pas , hors ta présence prouve le contraire . »

Eijil attendit un long moment , laissant la jument réfléchir à ses paroles . un peu essoufflée par ce qui devait être son plus long discourt depuis ... Non , pas depuis . Son plus long discourt . Elle admira une nouvelle fois les crins et la robe de la jument , sa taille fine et son regard intelligent , un poil envieuse . Elle gratta le sol en leva les yeux , mal à l'aise . D'habitude , elle ne parlait pas aux gens . L'exercice , qui lui avait semblé facile , était semé d'embuche . L'art de la parole , elle était loin de le maitriser , et elle du se faire violence pour ne pas se détourner . Après un long moment de silence , elle murmura à la jument deux mots . Deux mots pleins de sous - entendus , deux mots plein d'arguments , pleins de promesses .

« Eijil . Enchantée »

Je méditais les paroles de la jument durant quelques secondes. Alors, un sourire se dessina sur mon visage. Pas un sourire moqueur non, un sourire appréciateur, appréciateur face à la connaissance de la jument. Combien de chevaux peuvent se vanter d'être capables de citer des philosophes de la sorte ? Je changeais tranquillement d'attitude, laissant mes muscles se détendre. Ce sage avait-il raison ? Comment savoir.
- Celui que tu cites à sans doute raison, mais il dit bien "tout peut s'y placer et y trouver sa place". La mienne n'est pas ici, elle est ailleurs. Ou ? Qui peut se vanter de savoir ou est sa réelle place ? Mais si je dois trouver la mienne quelque part ce ne seras pas ici. Je suis l'exact opposé de ces lieux, et certains contraires ne réussissent pas s'accorder, je crois que c'est mon cas avec cette nature.
Je lui avais répondu en prenant soin d'ajouter un peu de légèreté à ma voix. Exercice difficile, mais je ne voulais pas donner l'impression de m'apitoyer sur mon sort. Je laissais mes pensées vagabonder quelques instants, réfléchissant à l'endroit ou je pourrais vraiment avoir ma place... Mais je retournais rapidement mes pensées vers la jolie jument pie.

Un corps élégant et racé, des taches joliment réparties et d'une agréable couleur plutôt claire. Elle aussi a pris le temps de m'observer. Que pense t-elle de moi ? Je réalise alors que je n'ai pas répondu à ses salutations. Je m'accordais encore quelques secondes de réflexion, pour trouver la meilleure façon de formuler les choses. J'inspirais discrètement et répondis aussi légèrement que je le pouvais, cherchant à faire passer la chose pour anodine.
- Jument ignorant son nom. Enchanté.

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